Numérique en santé : un outil à encadrer et à humaniser (Interview)
Le numérique et l’intelligence artificielle (IA) transforment le paysage de la santé et du médico-social à une vitesse fulgurante. Dossiers médicaux partagés, télémédecine, outils de planification ou encore intelligence artificielle dans le diagnostic… autant d’innovations qui promettent d’améliorer l’organisation et l’accès aux soins.
Mais cette transition numérique, si elle est mal accompagnée, peut aussi dégrader les conditions de travail des professionnels, générer une surcharge administrative et créer une distance avec les patients.
Face à ces enjeux, la Fédération CFTC Santé Sociaux a été auditionnée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans le cadre de ses travaux sur la transformation numérique du système de santé. À cette occasion, la Fédération a fait entendre la voix des professionnels du secteur, en insistant sur la nécessité d’un encadrement éthique et pragmatique du numérique.
Pour approfondir ces problématiques, nous avons interviewé Sandra WENDLING, membre du Conseil Fédéral, et Ali LAAZAOUI, Secrétaire Fédéral. Ils nous partagent les préoccupations et les propositions de la CFTC face à cette mutation technologique
Le numérique doit être un allié, pas un obstacle
Entretien avec Sandra WENDLING et Ali LAAZAOUI, Fédération CFTC Santé Sociaux
La Rédaction : L’intelligence artificielle et le numérique s’imposent dans le secteur de la santé. Comment la Fédération CFTC Santé Sociaux perçoit-elle cette évolution ?
Ali LAAZAOUI (A.L.) : Nous voyons le numérique comme une formidable opportunité à condition qu’il soit un outil au service des professionnels et des patients, et non l’inverse. Dans de nombreux établissements, ces innovations permettent de faciliter la coordination des soins ou de lutter contre les déserts médicaux grâce à la télémédecine.
Cependant, ces avancées ne doivent pas masquer les dérives que nous constatons sur le terrain. Trop souvent, les soignants passent un temps considérable sur des tâches administratives numériques, au détriment du lien humain avec les patients. Il y a une vraie inquiétude : au lieu de simplifier le travail, le numérique devient parfois un fardeau supplémentaire.
La Rédaction : La place accordée aux professions dans la Feuille de route du numérique en santé vous semble-t-elle suffisante ?
Sandra WENDLING (S.W.) : La Feuille de route du numérique en santé 2023-2027 affiche des ambitions claires pour moderniser le système de santé. Cependant, si les professionnels y sont mentionnés, leur implication réelle reste perfectible.
Les soignants, aides-soignants, personnels administratifs et médico-sociaux sont en première ligne et connaissent les réalités de terrain. Leur participation active à la conception, au déploiement et à l’évaluation des outils numériques est indispensable. Trop souvent, ces solutions sont conçues sans prendre en compte la complexité et les imprévus du quotidien. En les impliquant dès le départ, on pourrait éviter le décalage entre le travail prescrit et la réalité du terrain.
La Rédaction : Comment mieux encadrer cette transition numérique ?
A.L. : Il est essentiel d’associer les représentants du personnel dès les premières étapes de conception des outils numériques. Trop souvent, ces solutions sont pensées sans une réelle concertation avec les professionnels. Résultat : des outils peu ergonomiques, mal adaptés aux besoins du terrain, qui génèrent une surcharge de travail.
Nous demandons que chaque projet numérique fasse l’objet d’une évaluation d’impact sur la charge de travail et que des ajustements soient apportés si nécessaire.
Enfin, une formation continue et adaptée est indispensable. Il faut non seulement former les professionnels aux nouveaux outils, mais aussi leur garantir un temps dédié à cette montée en compétences.
La Rédaction : Sur quelles priorités faudrait-il mettre l’accent ?
S.W. : Pour que le numérique soit un véritable levier de progrès, il est essentiel de concentrer les efforts sur plusieurs axes :
Une intégration fluide des outils numériques dans les pratiques professionnelles, avec une ergonomie optimisée.
Une interopérabilité accrue des systèmes, garantissant la continuité des soins.
Un investissement massif dans la formation, afin d’éviter une fracture numérique entre les professionnels.
Un accompagnement des patients en difficulté avec le numérique, pour garantir un accès équitable aux soins.
Une cybersécurité renforcée, avec des données hébergées en France et protégées des cyberattaques.
La Rédaction : Finalement, quel message souhaitez-vous adresser aux décideurs politiques et aux établissements de santé ?
S.W. : Le numérique ne doit jamais remplacer l’humain, mais le soutenir. Son objectif ne doit pas être de faire des économies sur le dos des soignants, mais bien d’améliorer les conditions de travail et la qualité des soins.
A.L. : Nous demandons une concertation réelle avec les professionnels avant toute mise en place de nouveaux outils numériques. Il faut aussi garantir des financements suffisants pour que ces innovations soient véritablement bénéfiques et non un simple levier de réduction des coûts.
Enfin, la Fédération CFTC Santé Sociaux restera vigilante et force de proposition pour que cette transformation numérique respecte les valeurs fondamentales du soin : humanité, éthique et qualité de service. Car, comme le rappelle la CFTC, un outil de travail doit s’adapter à l’homme, et non l’inverse.
Émilie RIVIÈRE
Rédaction VHS CFTC
Commentaires
Pas de commentaire.