La CFTC se mobilise pour la reconnaissance de la pénibilité des métiers féminisés (Interview)
À la suite d’une table ronde à l’Assemblée nationale, où était discutée la proposition de loi visant à reconnaître la pénibilité des métiers dits « féminisés », Marion MILED et Aurélie LEFEVRE, représentantes de la CFTC, ont pris la parole pour défendre les droits de milliers de travailleuses, essentielles mais souvent invisibles dans notre société. Nous les avons rencontrées pour comprendre les enjeux de cette initiative.
La Rédaction : Marion MILED, Aurélie LEFEVRE, vous avez participé à cette table ronde pour soutenir cette proposition de loi. Pourquoi pensez-vous qu’une telle démarche est aujourd’hui cruciale ?
Marion MILED : Ces métiers, notamment ceux centrés sur le soin, l’accompagnement, et l’assistance, sont au cœur de notre société et se révèlent particulièrement exigeants. Majoritairement exercés par des femmes, ils sont confrontés à des réalités de pénibilité au quotidien. Nous souhaitons une reconnaissance formelle de la difficulté de ces tâches. Les risques sont à la fois physiques et émotionnels, et il est impératif d’offrir à ces professionnelles un cadre de prévention et de protection adapté.
La Rédaction : Pourriez-vous préciser ce que signifie « pénibilité » dans ces métiers ?
Aurélie LEFEVRE : La pénibilité ici est double : des contraintes physiques – port de charges, postures inconfortables, tâches répétitives – et une forte charge émotionnelle. Les travailleuses accompagnent des personnes vulnérables, en souffrance, ou demandant une grande attention, qu’il s’agisse d’enfants, de personnes âgées ou de personnes en difficulté. Cette charge psychique pèse lourdement sur leur bien-être mental, un aspect souvent négligé dans les discussions sur la pénibilité.
La Rédaction : Marion MILED, Aurélie LEFEVRE, vous soutenez activement cette proposition de loi. Quelles mesures la CFTC souhaite-t-elle voir mises en place pour améliorer les conditions de travail dans ces métiers ?
Marion MILED : La CFTC défend des actions concrètes pour répondre aux besoins des métiers féminisés. Nous souhaitons que les risques émotionnels soient inclus, avec les risques physiques, dans le Compte Professionnel de Prévention (C2P). Il permet aux salariés exposés à certains facteurs de risques au sein de l’entreprise de se former, de réduire leur temps de travail ou d’anticiper leur départ en retraite. En effet, de nombreux métiers dans les soins et l’aide à domicile exposent les travailleuses à une charge émotionnelle intense – les accompagnants de fin de vie, par exemple. Il est essentiel que cette pénibilité soit reconnue pour ce qu’elle est.
La Rédaction : Cette reconnaissance passerait donc par le C2P. Avez-vous des demandes spécifiques concernant le secteur public ?
Aurélie LEFEVRE : Absolument. La CFTC plaide également pour l’extension du Compte Professionnel de Prévention (C2P) aux agents de la Fonction Publique Hospitalière (FPH). Aujourd’hui, ces agents, souvent exposés à des conditions de travail extrêmement pénibles, ne bénéficient pas des mêmes dispositifs de prévention et de compensation que dans le secteur privé. En incluant la FPH dans le C2P, nous donnerions aux soignantes et soignants un accès à la reconnaissance de leur pénibilité et à des possibilités de départ anticipé, notamment pour ceux qui cumulent des années de service dans des conditions éprouvantes.
La Rédaction : Et au-delà du C2P, quels autres dispositifs pourraient être renforcés ?
Marion MILED : Nous demandons que les employeurs mettent en place des programmes de prévention et de formation, spécifiquement adaptés à ces métiers. Des formations à la gestion de la charge émotionnelle, des améliorations ergonomiques pour limiter les troubles musculo-squelettiques… Ces mesures permettraient de mieux gérer les situations éprouvantes du quotidien et de réduire les risques d’épuisement professionnel. Par ailleurs, la CFTC propose, pour les entreprises de plus de 20 salariés, de supprimer l’exception du taux collectif dans les contributions des employeurs de certains secteurs d’activités à forte sinistralité. Aujourd’hui, cette exception freine les actions de prévention en uniformisant les cotisations pour toutes les entreprises d’un même secteur d’activité, quelle que soit leur exposition aux risques professionnels ou la sinistralité de l’établissement. La suppression de cette exception encouragerait les employeurs à investir davantage dans la prévention des risques, en particulier pour les métiers féminisés, où la sinistralité est souvent plus élevée. Cette mesure rendrait le système de cotisation plus équitable, en permettant au taux individualisé de refléter la sinistralité propre à chaque employeur et leurs efforts de prévention.
La Rédaction : La question de la non-mixité des métiers est souvent abordée. Pourquoi cet enjeu est-il si important ?
Aurélie LEFEVRE : La mixité est cruciale pour alléger la pénibilité et revaloriser ces métiers. Ces professions, en raison de leur forte féminisation, sont souvent sous-évaluées et sous-rémunérées. Attirer davantage d’hommes dans ces métiers pourrait améliorer leur perception et casser les stéréotypes de genre. La CFTC propose des campagnes de sensibilisation pour attirer un public masculin, dans le but de rendre ces professions plus attractives pour tous.
La Rédaction : Pour conclure, quels effets espérez-vous de l’adoption de cette loi ?
Marion MILED : L’adoption de cette loi enverrait un message fort aux milliers de femmes qui exercent ces métiers : les contraintes de leur travail seraient enfin reconnues dans toutes leurs dimensions, y compris les risques émotionnels souvent ignorés. Cela ouvrirait la voie à une meilleure valorisation de ces professions en montrant que la société considère ces métiers, souvent discrets, comme essentiels et qu’ils méritent une réelle protection. Pour la CFTC, cette reconnaissance doit se traduire par des droits concrets, une prévention renforcée et une amélioration des conditions de travail.
Aurélie LEFEVRE : En effet, cette loi pourrait transformer l’image de ces métiers en élargissant les droits au Compte Professionnel de Prévention (C2P) pour ceux qui travaillent dans la fonction publique hospitalière. Elle stabiliserait les équipes et renforcerait l’attractivité des professions concernées. Ce serait aussi un signal pour les travailleuses, leur rappelant qu’elles ne sont pas seules face aux difficultés et que leurs efforts et leur santé sont enfin pris en compte de manière équitable.
Émilie RIVIÈRE
Rédaction VHS CFTC
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